dimanche 9 octobre 2016
La sécurité ne fait pas tout contre le terrorisme
Selon Bernard Bajolet, le patron de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), et Patrick Calvar, celui de la Direction générale de la sécurité intérieure, il n’y a pas « l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette » entre leurs deux services. En tout cas, ils l’ont démontré dans les analyses qu’ils ont livrées aux sénateurs de la commission des Affaires étrangères et des Forces armées, lors de leur audition commune, le 17 février.
L’une d’entre-elles est que l’Europe fera « sans nul doute face à d’autres attentats » comme ceux du 13 novembre à Paris et à Saint-Denis et que la « France reste en première ligne » face à la menace jihadiste.
À ce propos, une confidence faite par Patrick Calvar, en fin d’audition, fait froid dans le dos. Confirmant l’interpellation, à Salzbourg (Autriche) de deux proches des auteurs des attentats de Paris, le patron de la DGSI a affirmé disposer « d’informations faisant état de la présence de commandos sur le sol européen, dont nous ignorons la localisation et l’objectif. »
En outre, l’État islamique n’est pas la seule organisation à vouloir s’en prendre à la France…. Il y a aussi, a rappelé le paron de la DGSI, al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA). Selon lui, cette menace « pèse aussi sur d’autres pays » et elle est « de nature à déstabiliser notre société. » Aussi, a-t-il assuré, « nous surveillons aussi des groupes extrémistes à l’opposé du spectre, qui n’attendent que de nouveaux actes terroristes pour engager une confrontation violente. »
Une autre analyse commune à MM. Bajolet et Calvar est que la réponse sécuritaire ne peut, à elle seule, régler le problème du terrorisme.
« Je suis convaincu, à titre personnel, que la réponse sécuritaire n’est que partielle et ne résoudra pas le phénomène. Pourquoi une fille de 15 ans quitte-t-elle notre territoire pour la Syrie alors que rien ne la destine à ce destin macabre ? Pourquoi un garçon du même âge issu d’un milieu kurde, non islamisé, tente-t-il d’assassiner un enseignant juif à Marseille ? C’est une question pour notre société », a en effet estimé le directeur de la DGSI.
« Une partie – certes infime – de la jeunesse est secouée par une crise profonde. La revendication filmée des attentats produite par Daesh, terrible, insoutenable, montre des individus déshumanisés, revenus à l’état d’animaux. Si nous les interceptons, qu’allons-nous en faire ? Faut-il les maintenir en prison à vie ? », s’est encore interrogé M. Calvar. « Il y a là un problème psychiatrique, et un enjeu de protection pour la société », a-t-il ajouté.
Vers la fin de l'Europe ?
La crise des réfugiés n’est pas seulement l’échec du projet européen, mais aussi celui d’un espace de solidarité et de démocratie. Et la France a contribué à cet échec, notamment en lâchant son partenaire allemand.
Dans un éditorial dramatique, le grand journal français du soir annonce «la mort clinique de l’Europe, incapable de faire face collectivement à la crise des réfugiés. Les historiens dateront certainement de cette affaire le début de la décomposition de l’Europe.» (1) Hélas, il n’est pas besoin d’attendre le jugement des historiens. Le fait est déjà là. Et les conséquences en seront désastreuses. Pas seulement pour le «projet européen», ou pour l’Union européenne comme institution, mais pour les peuples qui la composent, et chacun d’entre nous comme individus et comme citoyens. Non parce que cette Union, dont on nous dit aussi que le seul domaine où elle agisse encore est «la gestion du marché unique», serait un havre de solidarité et de démocratie, il s’en faut de beaucoup. Mais parce que sa désintégration signifiera à court terme encore moins de démocratie, au sens de la souveraineté partagée des peuples, encore moins de possibilités d’affronter les défis économiques et écologiques mondiaux, et moins d’espoir de surmonter un jour les nationalismes meurtriers, dont en théorie au moins elle devait nous préserver.
Dans ce tableau sinistre, qu’on peut partager (et que je partage), il me semble pourtant qu’un élément fait terriblement défaut, comme c’est le cas dans d’autres commentaires : la contribution spécifique de la France à ce résultat. Il ne faut pas l’isoler, sans doute. Mais la passer sous silence est une imposture et une démission de nos responsabilités. Citoyen européen et français moi-même, je ne peux pas et ne veux pas l’accepter.
Quand, à la fin de l’été dernier, la chancelière Merkel a pris la décision unilatérale de relâcher les règles de Dublin [sur l'asile, ndlr] pour pouvoir accueillir en Allemagne les réfugiés qui, par centaines de milliers maintenant, fuient les massacres de Syrie (dont on commence à dire qu’ils s’apparentent à un génocide, perpétré par plusieurs belligérants à la fois) et d’autres théâtres de guerre au Moyen-Orient, il y avait deux attitudes possibles : venir renforcer son initiative et soutenir l’effort de la population allemande, ou organiser le sabotage. Après quelques tergiversations, le gouvernement français a fait mine d’adopter la première pour pratiquer, en fait, la seconde. Ayant finalement accepté le plan Juncker de répartition des réfugiés en Europe, dont l’insuffisance était visible, mais qui constituait un début de prise en compte du problème, la France a tout fait pour que cet accord demeure lettre morte. A ce jour, sur 24 000 réfugiés qu’elle aurait dû accueillir, quelques dizaines l’ont été. On nous dit que les réfugiés «ne souhaitent pas» venir en France. A supposer que ce soit vrai, on ne se demande pas pourquoi la «terre d’asile» de naguère est devenue si dissuasive pour ceux qui manquent de tout au monde. Que ce lâchage de l’autre grande nation européenne soit de nature à persuader les Allemands qu’ils seront les seuls à porter le problème, c’est leur affaire, n’est-ce pas ? Ils n’avaient qu’à ne pas se croire meilleurs que les autres…
C’est leur affaire, sauf que nous essayons aussi de nous en mêler. Et de quelle façon ! Le mois dernier, prenant prétexte de la nécessité de coordonner les politiques de sécurité après les attentats terroristes (dont moins que quiconque je suis tenté de sous-estimer le sérieux des mesures de protection qu’ils imposent), le Premier ministre, Manuel Valls, est allé à Munich stigmatiser la politique engagée par Angela Merkel : deuxième en date parmi les chefs de gouvernement européens, après Viktor Orbán, à se rendre sur place pour apporter son soutien à l’extrême droite allemande, dont l’objectif avoué est d’obtenir que la chancelière se soumette ou se démette. Et c’est jeudi que le ministre [de l'intérieur] Bernard Cazeneuve, ayant mis en route le processus de démantèlement de la «jungle» de Calais qui rejettera sur les routes des centaines de désespérés en application des plans concertés avec son homologue britannique, s’étonne de voir la Belgique refermer sa frontière. On en vient à penser que Marine Le Pen gouverne déjà la France.
Oui, l’Europe se décompose chaque jour davantage, et nous y sommes pour quelque chose. Nous en subirons donc les conséquences sur tous les plans : l’honneur, qui commande une part moins négligeable qu’on ne croit de la légitimité historique des constructions politiques, mais aussi la sécurité collective ou la protection des individus, qui sont les conditions de la vie civile. Sauf si, au bord de l’irrémédiable, la conjonction d’un mouvement d’opinion éclairé et d’un réflexe de courage de nos gouvernants (ou de certains d’entre eux), amorçait un redressement. Je n’y crois pas trop, bien sûr, après ce que nous venons de voir. J’en formulerai pourtant les deux conditions qui me semblent incontournables.
La première, c’est de dire enfin haut et fort que Merkel a eu raison, et que son initiative (à laquelle, même placée sur la défensive, elle n’a toujours pas officiellement renoncé) ne doit pas échouer. La question n’est pas de ses motivations, dans lesquelles on continuera de disséquer la part de l’intérêt économique et celle de la moralité. C’est de reconnaître la justesse politique d’une décision, la ligne de démarcation qu’elle trace entre deux conceptions de l’Europe, et l’importance des responsabilités qui en découlent pour nous tous. Après cela, que Merkel paye de son isolement dans les opinions européennes des années de «politique de puissance» et d’imposition de l’austérité en Europe, c’est sûr, mais ce n’est pas la question – et nous n’avons rien à lui envier à cet égard puisque nous l’avons suivie quand il aurait fallu, au contraire, lui résister. Le Président français doit donc aller à Berlin, cette fois pour la bonne cause : dire le moment historique où nous sommes, et appeler solennellement avec l’Allemagne les autres nations européennes à y faire face dans leur intérêt et pour leur avenir.
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